Passages
Écrit par le critique d'art Richard Speer.
Les peintures évocatrices de Karen Silve puisent leur inspiration dans un réservoir d’émotions et d’impressions, se déployant à travers des couches de couleurs vives et de gestes. Entourée par la beauté pittoresque du nord-ouest du Pacifique américain, où elle est basée, et par la campagne autour de sa maison familiale en Provence, en France, elle distille la grandeur et la sérénité tranquille du monde naturel dans des récits abstraits, qui célèbrent les petites mais profondes épiphanies de la vie. Chaque tableau commence par une méditation ou une syntonisation avec une expérience synesthésique : le frottement du vent caressant la peau, le chant des oiseaux dans un parc, les parfums qui rappellent un moment et un lieu significatifs, et surtout les couleurs qui inondent son champ optique. Ce n’est qu’après s’être immergée dans ces souvenirs et réflexions qu’elle commence à visualiser l’œuvre d’art qui sera bientôt créée.
C’est le cas de Passages (2023-24), la synthèse artistique de sa randonnée exténuante en septembre dernier dans les profondeurs des gorges du Verdon, dans le sud-est de la France. Le voyage de 7,5 heures dans et hors de ce gouffre majestueux mais déchirant a exigé un engagement et un effort total, tant physique que psychologique. Au final, sortir du canyon et le voyage intérieur qu’il a inspiré sont devenus une métaphore de la confrontation aux angoisses, aux insécurités et aux tragédies que nous traversons dans la vie moderne. Dans le récit symbolique des trois panneaux de la composition, nous entrevoyons un passage vers un autre type d’espace, où la croissance et l’espoir se présentent contre toute attente.
Ces deux tableaux illustrent une approche de la création de traces dans laquelle l’environnement naturel et le monde intérieur s’alignent sur le plan pictural. « La nature », comme l’observe l’auteur John Mendelsohn, « n’est pas simplement une vue ou une scène dans les peintures de Karen Silve, mais une expérience enveloppante : des interactions chromatiques complexes, une vision à travers des plans vers l’espace au-delà et une sensation de lumière rayonnante… » Plaçant l’artiste dans la lignée de Cézanne, Monet, de Kooning et Mitchell, le célèbre critique Peter Frank ajoute : « Malgré toute leur exubérance broussailleuse et dégoulinante, les peintures de Silve sont composées avec une rigueur presque architecturale qui imite les rythmes glorieux de la nature elle-même. »
Ci-dessus, quelques images de sa randonnée. La dernière image est celle de Karen au point final de sa randonnée prise la nuit précédente.
Cette sensibilité accrue au monde naturel peut provenir de ses premiers travaux de figuration et de paysage. C'est en tant qu'artiste émergente, étudiant à Aix-en-Provence à l'école Leo Marchutz, qu'elle a trouvé sa véritable passion pour la peinture, la couleur et la nature, ainsi que l'éthique de travail qui allait la propulser pendant les années à venir. Depuis ces années de formation, elle a exposé dans des musées, des centres d'art et des galeries à New York, Washington, D.C., Chicago, Miami, Santa Fe et Sun Valley, ainsi qu'au Royaume-Uni, au Qatar, à Brunei et au Mexique, où son travail est inclus dans la collection permanente du consulat américain à Monterrey. Bénéficiaire de bourses et de résidences prestigieuses, elle a reçu les éloges de la critique dans des publications telles que The Washington Post (« Sa main libre et ses éclaboussures vives rappellent Jackson Pollock... et font écho à la technique de Gerhard Richter ») et d'Ann Landi, collaboratrice d'ARTnews et du New York Times (« Parce que beaucoup de ses œuvres sont à échelle humaine, nous nous y rapportons avec notre propre corps et entrons dans son dialogue avec les matériaux »).
Passages, 180 x 440 cm., acrylique sur toile